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Evocation

PATRIMOINE : LES LIMITES 10 January 2014

LE PATRIMOINE: UNE REALITE MULTIFORME   par Jean-Pierre COURTIAU

 

« Ce ne sont pas les pierres qui font la cité mais les hommes qui savent comment assurer leur salut » affirmait le poète Alcée de Mytilène au VIIème siècle avant Jésus-Christ.

Mais que sont ces pierres, qui sont ces hommes et comment assurer leur salut ?

Il serait illusoire de traiter  de la notion de patrimoine en quelques lignes tant elle est riche, plurielle et recouvre des réalités bien différentes.

Etymologiquement c’est l’héritage du père et par extension, l’ensemble des biens hérités de la famille ; la notion a évolué depuis 1789 pour imposer l’idée d’un patrimoine citoyen, héritage commun dans lequel la Nation puise ses symboles. Les objets d’art sont protégés en priorité grâce à la contribution de l’Abbé Grégoire (1750-1831).

Le patrimoine devint la reconnaissance de l’identité d’une communauté plutôt qu’une banale transmission juridique faisant ainsi passer les biens possédés de l’individuel, du familial, au collectif. De la matérialité des meubles et des immeubles, le mot s’est enrichi des réalités plus symboliques recouvrant une appartenance, la qualité d’identification d’une communauté par un terroir, un pays, un paysage, un langage, une culture, des arts, le recours à des références à un passé commun.

Les outils politiques ont été mis en place à l’initiative d’André Malraux. La première loi de programme du 31 juillet 1962 permettra de sauver sept monuments : Versailles, le Louvre, Vincennes, Fontainebleau, Chambord et les cathédrales de Chartres et de Reims. Puis Michel Guy fait de la reconnaissance du patrimoine du XIXème et XXème siècle sa politique tout en l’inscrivant dans un contexte urbain.

Ainsi, d’éléments architecturaux remarquables, monumentaux et ponctuels, la notion consacre des espaces urbains entiers avec leurs places, leurs parcs, leur parcellaire (notamment des secteurs sauvegardés, des ZPPAUP ou AVAP). Un menhir, un oppidum, un tumulus, un site archéologique sont protégés mais aussi l’ensemble d’un paysage, une vallée. Les préoccupations des législateurs ont changé d’échelle: « le territoire français est le patrimoine commun de la Nation » stipule l’article L110 du Code de l’urbanisme. Cette généreuse recommandation est bien difficile à argumenter lors de conflits d’usage du sol à l’élaboration d’un Plan Local d’Urbanisme.

La notion s’applique aussi aux langues locales, aux écrits, aux fonds d’archives ou à des pratiques ethnologiques, des savoir-faire et des représentations. L'UNESCO identifie un patrimoine immatériel recouvrant « l’ensemble des pratiques, représentations, expressions, connaissances, savoir-faire transmis de génération en génération et constamment recréés par les communautés dans leur milieu ». On peut ainsi retenir « les Soufflaculs de Nontron (Dordogne) » ou « les usages et représentations du minéral en Bretagne ».

Une liste du patrimoine mondial a été établie par l’UNESCO à partir de 1972 et la France a été un membre actif de la Commission du Patrimoine Mondial, culturel et naturel, comme le Conseil de l'Europe dans le cadre de la Convention Faro de 2005.

Le patrimoine connaît un extraordinaire engouement., ce sont environ 15 millions de visiteurs, qui honorent de leur présence les journées européennes et annuelles du patrimoine. C’est un succès dont l’initiative revient à l’ancien ministre Jack Lang.

Son successeur actuel a affirmé nettement sa position : « le patrimoine est notre histoire commune » et Aurélie Filippetti précise : « lorsqu’on protège, on ne muséifie pas le pays, on le fait fructifier".

L’investissement consacré à la protection et à la gestion du patrimoine est important mais le retour en termes de financements, d’emplois et de valorisation de l’image d’une ville ou d’une région est considérable.

La richesse et la diversité du concept m'ont été confirmées à la Sorbonne par mes étudiants lors de leurs exposés sur un lieu patrimonial de leur choix porteur d’une problématique et d’un enseignement.

Quelques grandes familles de questionnements de sont dégagées :

. le patrimoine mondial :comme Petra, un rêve fragile ; le pays Dogon, un patrimoine en danger  ; Auschwitz, respect de l’identité de la mémoire ou encore le Havre, patrimoine urbain du XXème siècle ;

. le patrimoine et son actualité :comme Dubai, la création d’un patrimoine ?; la Tour Phare à la Défense, vers un patrimoine du XXIème siècle ? ; Cergy Village, un patrimoine à préserver ? ;

. le patrimoine paysager et rural : la valeur patrimoniale des paysages de la Seine; le Désert de Retz, patrimoine énigmatique à la conservation complexe ; la Bièvre, mythe d’une renaissance ;

. le patrimoine industriel : les usines Menier à Noisiel, reconversion ; les usines textiles (cotton mills) à Bombay ; le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, patrimoine de l’homme ; la base sous marine de Saint-Nazaire, traumatisme et renouveau ;

. le patrimoine urbain : Bruges, ville musée ?  ; Lorient, entre patrimoine et modernité ; Vézelay, ville de patrimoine ; la valeur sous estimée du tissu haussmannien ; le passage Brady à Paris, un patrimoine à conserver ; Saint-Tropez, un patrimoine victime de son succès; le quartier des Pyramides à Evry, quelle valeur patrimoniale ?

. le « petit » patrimoine : la construction de bateaux en presqu’île de Crozon, quel avenir ? ;  l’inventaire du patrimoine local à Dijon ; le viaduc de l’avenue Daumesnil à Paris, patrimoine original revisité ;

. thématiques croisées originales : la Samaritaine, comment concilier patrimoine et dynamique économique ? ; Nouvelle-Orléans, l’après « Katrina », quelle place pour le patrimoine après le désastre ? ; le cinéma Utopia-Tournefeuille, le patrimoine culturel immatériel comme élément de restructuration de la banlieue toulousaine.

Au terme de cet inventaire, l’intérêt d’une définition de plus en plus élargie de la notion de patrimoine ne fait pas de doute mais ne risque-t-on pas une banalisation, dans nos pays de vieille civilisation où chaque kilomètre de route propose la découverte d’églises, de châteaux, d’un bout de canal, d’un panorama, d’immeubles urbains de qualité ?

Le classement du Havre, du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial renforce une identité citoyenne, valorise des sites méconnus, augmente la fréquentation touristique et procure des ressources économiques. Lorsqu’il s’agit de villes historiques, de quartiers entiers protégés, la réhabilitation des immeubles et la conception d’un plan de circulation évitant le cœur de ville ne peuvent-ils pas  avoir des impacts néfastes en provoquant une certaine ségrégation sociale ? L’identification de l’intérêt patrimonial, le choix des modes de protection, la gestion, le financement ont été étudiés, débattus, ont fait l’objet de séminaires, de colloques organisés à tous les niveaux décisionnels : UNESCO, Etat, collectivités régionales et locales.

Concluons par un thème qui contribue grandement aux débats de fond : « les enjeux du patrimoine architectural et urbain du XXème siècle » et par la question : comment juger de la qualité d’exemplarité d’un bâtiment ou d’un ensemble sans avoir l’avantage du recul du temps permettant d’éviter les effets de mode ou d’actualité, les influences, les pressions ?

Evidemment, cet essai ponctuel sur le patrimoine n’a qu’une qualité : ouvrir ou poursuivre le débat !

           JPC - 8 janvier 2014