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Evocation

ESTHETIQUE INDUSTRIELLE, DOUDOU REBELLE 13 October 2015

Lorsqu’il y a 28 ans, le cabinet d’avocats américain Jones, Day, Reavis and Pogue recevait dans ses bureaux de l’immeuble Roger & Gallet, face à l’Elysée, l’ambiance intérieure frappait les esprits… et l’on se disait que ces murs de parement de briques vieillies, ces éclairages de métal brut étaient décidément très américains…

Aujourd’hui, l’esthétique industrielle fait rêver… Les restaurants, du plus branché au bistrot de quartier nous accueillent dans la divine récup’, les services d’urbanisme acceptent la transformation de bâtiments agricoles en habitation… pourvu qu’ils troquent leur mine agricole pour un petit quelque chose façon atelier, la cote du casier vestiaire-ouvrier grimpe aux puces à en faire rougir les bleus de travail et l’on se pâme pour un luminaire-gamelle, un établi-si-authentique, une besace de plombier so chic…

La rébellion post-soixante-huitarde qui fuit le faux comme le vrai Louis XV des parents dits « bourgeois » en est-elle l’explication ?

Le nivellement pas le goût pour une société voulue plus unitaire, plus unifiée, moins désireuse de marquer les différences sociales en est-il l’explication ?

Une identification à l’Ouvrier d’autrefois plutôt qu’au Grand d’un monde passé ? plutôt qu’un futur à penser ? Dans une France désindustrialisée, on pourrait imaginer un « spleen », une « saudade », en bref, une nostalgie d’un temps ou tout ceci n’était pas objet de déco mais outil de production… à la manière encore des jougs qui ornaient les salons de campagne kitch des parents dits « bourgeois » ?

Or cette engouement n’a pas de frontière...

Ses racines sont forcément multiples… pas toutes dictées par la rébellion normée de rebelles standardisés dont l’œil a appris à regarder « beau » ce qui n’était que « pratique ».

Des raisons économiques ?

Qui veut un grand espace à vivre ira chercher, originellement par manque de moyens, un lieu désindustrialisé qui se baptisera loft… on dé-squattera le très pauvre pour nicher le moins pauvre…

La raison en deviendra économico-créative car le loft laissera la part belle à l’imagination pour une vie moins contrainte, moins compartimentée… reflet de cette société toute entière qui brise ses carcans…

Economie et aménagement du territoire : La ville est chère, la ville s’étend… on désindustrialise… souvent on démolit et reconstruit… parfois on garde des pépites… Qui veut des bureaux spacieux s’installera superbement tel un Nestlé dans l’ancienne chocolaterie Menier à  Noisiel devenue lieu de pèlerinage lors des journées du Patrimoine, ou tel un Hermès dans ses ateliers de Pantin recomposés par RDAI.

Economie et esthétique : l’outil industriel a été pensé pour son usage, sa robustesse, son coût, son entretien… il en résulte un objet dépouillé de ses artifices, qui ne garde de lui-même que l’essentiel… or c’est cet essentiel qui accroche le regard, frappe les esprits et reste en mémoire, comme un refrain bien ancré dans la culture collective… ce minimalisme fait la quasi-unanimité car, loin des décors débridés et audacieux, il ne prend pas d'engagement…

Economie et écologie : L’esthétique industrielle est aimée en ce qu’elle permet la récupération, la transformation, le détournement, la passation chères aux écologistes convaincus, chère aux lassés de la consommation…. Le container se fait maison, les palettes se combinent en canapé… comme sur la terrasse-café du très accueillant restaurant Monsieur du Parc de St Cloud.

…mais avec l’objet industriel vintage maintenant réédité, refabriqué dans les pays encore pauvres puis exporté vers les pays déjà moins riches, on est peut-être là… quelque part, à rechercher un passé récent, un passé volontairement pauvre et minimal… Un tabouret d’atelier comme un doudou en période de crise…

-MH-